Au cours du 20ième siècle (et notamment des 30 glorieuses), les français se sont de plus en plus tournés vers l’automobile pour leur mobilité :
Répartition des déplacements locaux en semaine selon le mode de transport principal (le plus “lourd”), [Enquête Nationale Transports et Déplacements 2008]
Cette évolution dans les pratiques de mobilité se retrouve également dans le graphe de l’évolution des distances parcourues par mode et par personne par jour en France. On constate notamment que la mobilité motorisée s’est développée au détriment de la mobilité pédestre.
Nous détaillerons tout d’abord les enjeux associés à cette pratique de mobilité et rapportés sur la figure suivante :
Puis nous évoquerons une solution à ces maux par le développement des mobilités actives et nous illustrerons les aménagements généralement pensés pour ces mobilités à l’échelle de la rue, du quartier et de la ville.
Nous présenterons ensuite les usagers des transports.
Les transports motorisés à combustion rejettent de nombreux polluants atmosphériques comme les oxydes d’azote (NOx), les particules fines PM10 et PM2.5, le monoxyde de carbone, des métaux lourds… L’Agence européenne pour l’environnement estime que 391 000 décès prématurés sont imputables à la pollution atmosphérique dans l’Union Européenne en 2018. Par exemple, les particules fines et les NOx causent des problèmes respiratoires et cardiovasculaires ainsi que des cancers. L’ozone favorise le développement de l’asthme.
Nous peinons globalement à saisir ce problème insidieusement invisible et pourtant majeur pour la santé publique comme l’illustre l’histoire de l’essence au plomb. Au siècle dernier, l’automobile a ainsi vaporisé de vastes quantité de ce métal aux propriétés sévèrement neurotoxiques pour l’homme causant une crise sanitaire et environnementale globale majeure que les Nations Unies avaient identifiée en 2002 comme “l’une des menaces les plus sérieuses pour la santé humaine” et qui n’a été “résolue” qu’en 2021 1.
Dans les agglomérations françaises de plus de 250 000 personnes, 40% des habitants sont exposés à un niveau sonore de jour supérieur à 60 décibels. Hors, un fort niveau de bruit ambiant peut causer une dégradation de la communication, des pertes auditives, des troubles du sommeil, de l’hypertension artérielle, une réduction du champ de vision, de l’irritation nerveuse et de la dépression. Ainsi, les pollutions sonores seraient la deuxième cause de morbidité (derrière la pollution atmosphérique) parmi les facteurs de risques environnementaux en Europe d’après l’OMS.
Une autre étude portée sur les agglomérations françaises de plus de 100 000 habitants identifie le transport routier comme premier responsable de la pollution sonore :
Comme l’a synthétisé (Chibane & Gwiazdzinski, 2015), la
marche est de moins en moins utilisée comme moyen de locomotion en
ville, les Français utilisant de manière croissante un mode motorisé.
Ainsi, au début des années 2010s, 80% des Français âgés de 18-64 ans
marchent moins de 30 minutes par jour et 50% des seniors font moins de
5000 pas par jour. Il en résulte notamment une augmentation de l’obésité
qui touche en 2012 près de 15% de la population contre 8.5% en 1997.
Cette dernière favorise l’apparition de maladies comme le diabète, les
maladies coronariennes, les accidents vasculaires, l’hypertension et
certains cancers.
Au contraire, la pratique de la marche comme activité physique serait
une source de bien-être et favoriserait un équilibre physique et
psychologique.
D’après l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière (ONISR, 2020), 3498 personnes ont perdu la vie sur les routes de France en 2019 et 74165 ont été blessées.
A noter que la gravité de l’accident est directement corrélée à la vitesse selon la courbe suivante :
On évoquera succinctement dans les paragraphes qui suivent quelques enjeux de société en renvoyant le lecteur vers des ressources plus riches et plus légitimes sur les sujets abordés.
La vision de General Motors explicitée dans le film de propagande “Give Yourself the Green Light”2 des années 1950s s’est réalisée massivement aux Etats-Unis et partiellement en Europe. Ainsi, l’avènement de l’automobile a dissocié les lieux de travail, de divertissement, de consommation et d’habitations en conséquence de quoi les villes se sont étalées et une partie du fonctionnement de la société est devenue dépendante de l’automobile.
Jane Jacobs connue notamment pour son livre “Death and Life of Great American Cities” (Jacobs et al., 2012) : “Dès que vous amenez une voie rapide dans la partie dense de la ville, vous avez un très grand nombre de voitures qui cherchent à y accéder ou à en sortir à des points précis. A ces endroits, se trouvent de terribles embouteillages. Une masse de voitures qui doit se dissiper dans les rues de la ville. Chaque voie rapide produit ses propres goulots d’étranglement. Et si on veut les contrer, il faut plus de voies rapides, ce qui nécessite également de rétrécir les trottoirs, de couper les arbres pour élargir les rues de supprimer tous les petits parcs ou zones de repos, puis de faire beaucoup plus de parkings.”
D’après (Carson et al., 2023), dans les quartiers favorables à la marche, les habitants ont davantage d’interactions sociales et un “esprit de communauté”
Au contraire, l’aménagement du tout-voiture génère moins d’interactions avec ses voisins et davantage d’individualisme.
# zoom sur le sujet du parking
Dans “Parking and the City” (Shoup, 2018), l’auteur montre qu’ajouter
des places de stationnements subventionne les automobilistes (au
détriment des autres citoyens), encourage l’étalement urbain, dégrade
l’aménagement des quartiers et la marchabilité, détériore l’économie en
général, augemente le coût d’accès à la propriété et pénalise ceux qui
ne peuvent posséder une voiture ou choisissent de ne pas le faire.
Ainsi, les Etats-Unis disposeraient de quelques 2 milliards de places de stationnement pour 200 millions de voitures. Une place de parking occupe 11m2.
D’après (IGF_CGEDD, 2016), en 2015, 38% des villes moyennes (10 000 à 100 000 habitants) ont un taux de vacance commerciale situé entre 5% et 10% tandis que 55% ont un taux supérieur à 10%. Le rapport pointe que l’analyse statistique met en évidence une relation entre le niveau de vacance commerciale en centre-ville et le développement d’ensembles commerciaux périphériques.
L’existence même de ces ensembles commerciaux repose sur la voiture.
# un modèle non viable pour les individus
On constate avec le graphe suivant que les dépenses de mobilité
automobile représentent une part conséquente du budget des français avec
près de 30% de ces dépenses destinées à l’achat de carburant. On imagine
bien que les personnes ne disposant que de peu de services et commerces
accessibles sans la voiture, verront leur qualité de vie directement
impactée par les augmentations du prix de l’essence.
A ce titre, on notera une augmentation du prix de l’essence comme déclencheur du mouvement des gilets jaunes 3, une des contestations sociales majeures de ces dernières années en France.
Certains économistes4 mettent l’augmentation des prix des carburants également à l’origine de la crise des subprimes de 2008 : les ménages dépendant de la voiture (et ayant le crédit d’une maison individuelle en banlieu à rembourser) avaient vu ce poste de dépenses augmenter de 120% entre 2002 et 2008.
# un modèle non viable pour les collectivités
L’association américaine Strong Towns 5 qui
milite pour des villes plus marchables aux Etats-Unis défend l’idée que
le développement des banlieux pavillonnaires américaines (associé au
“rêve américain” et au modèle du tout voiture) suivrait le schéma d’une
pyramide de Ponzi : construire de nouveaux pavillons permet aux villes
d’obtenir des gains financiers immédiats qui servent à financer
l’entretien de l’ensemble des voiries existantes que les taxes locales
seules ne peuvent soutenir. Ainsi pour faire face à des frais
d’entretien croissants, les villes construisent de plus en plus,
accroissant d’autant le problème, accumulant des dettes colossales et
rejettant le problème là encore d’un développement non durable sur les
générations futures.
L’essence est issue d’une ressource fossile non renouvellable. Par définition il arrivera donc un jour où les réserves seront épuisées et bien avant ça, il arrivera un jour où ce carburant ne sera plus abordable pour les ménages.
L’ingénieur et conférencier Jean-Marc Jancovici qui a gagné une
certaine renommée ces dernières années, propose l’analyse suivante6 :
- en 1979, le pic de production annuel de pétrole “conventionnel” (issu
des réservoirs) par terrien a été atteint
- en 2005/2008, le pic de production annuel de pétrole “conventionnel”
global a été franchi (qui coïncide curieusement avec les
subprimes)
- vers 2018/2022, le pic de production annuel “tous pétroles” (incluant
les “nouveaux pétroles” issus des sables bitumineux et des roches mères)
a été dépassé
Cela indique la fin annoncée du tout voiture et l’urgence à trouver et bâtir un nouveau modèle tant que nous avons de l’énergie facilement accessible.
Une autre façon de voir les choses est de considérer qu’une voiture pèse en moyenne 1.5t pour déplacer en moyenne une personne d’un poids inférieur à 100kg et quand on considère que l’énergie dépensée est directement liée au poids déplacé, on comprend qu’il s’agit donc d’un transport très inefficient que l’on imagine mal trouver sa place dans une société au mode de fonctionnement plus durable.
Le rapport (Greenpeace, 2019) pointe du doigt la responsabilité de l’industrie automobile dans le réchauffement climatique (elle réalise 9% des émissions de gaz à effet de serre mondial) et le manque d’ambitions de cette dernière pour la recherche de solutions.
Le graphe ci-dessous rapporte le poids des transports motorisés individuels dans le bilan carbone de la France en 2019 :
Le GIEC, dans son dernier rapport de synthèse (GIEC, 2023), dépeint une dégradation effrayante de l’habitabilité de notre planète. Selon les scénarios évoqués (eux-mêmes fonctions des mesures de réduction des émissions de gaz à effet de serre adoptées), une part conséquente de la surface deviendra inhospitalière à la vie humaine et les espèces animales endémiques disparaitront:
Les émissions liées au transport créent également une pollution chimique. D’après (Lesueur et al., 2019), les oxydes d’azote contribuent à la formation des pluies acides ainsi qu’à l’eutrophisation des cours d’eaux. Les métaux lourds s’accumulent à différents niveaux de notre chaîne alimentaire en se déposant dans les sols et les eaux.
D’après (agreste, 2021), l’artificialisation des sols est 3 fois plus rapide que la hausse de la population avec la construction d’habitats individuels comme facteur principal. La construction du réseau routier constitue par ailleurs le deuxième facteur.
De tous les maux évoqués jusqu’à présent, la voiture électrique n’apporte véritablement de réponse qu’à celui de la pollution de l’air qui va se trouver délocalisée (et probablement amoindrie car les fumées bénéficieront d’un traitement en centrale électrique dans le cas d’une centrale thermique). La pollution sonore est diminuée également mais non supprimée car une bonne part du bruit généré par les automobiles provient du roulement des pneus sur l’asphalte (qui sera d’ailleurs légèrement augmenté pour sa part avec des voitures alourdies par le poids des batteries).
Par ailleurs, les composants des véhicules électriques sont pour le moment fabriqués avec des minerais dont l’exploitation est très polluante et dont les ressources sont inégalement réparties sur la planète et probablement en quantité insuffisante pour convertir tout le parc de véhicules actuel.
Pourtant, l’électrification de la mobilité automobile reste à ce jour la première solution mise en avant par les politiciens pour répondre à la crise écologique.
Certaines solutions vraiment alternatives de déplacements motorisés urbains commencent à émerger mais se font encore discrètes :
Selon (Boucher & Fontaine, 2013), l’écomobilité vise “une mobilité responsable qui permet à tous de se déplacer de façon efficace et efficiente, en limitant les impacts sur l’environnement naturel et construit, en restreignant l’empreinte écologique de nos collectivités, en assurant un développement équitable des territoires et en garantissant la qualité de vie des collectivités”.
On voit que l’écomobilité est pensée comme une réponse aux maux causés par une mobilité centrée sur l’automobile de masse. Elle prend forme notamment au travers des mobilités actives.
D’après (Chibane & Gwiazdzinski, 2015), “la marchabilité (ou potentiel piétonnier) renvoie à la mesure de la performance de l’espace aux pratiques piétonnes. Elle définit l’adaptation d’un environnement construit aux déplacements à pied. Elle peut être évaluée à différentes échelles spatiales.” On déclinera naturellement cette définition au terme de cyclabilité rattaché à la pratique du vélo.
Par ailleurs, la marche et la pratique du vélo sont associées à une certaine activité physique et seront donc qualifiées de mobilités actives.
L’ADEME constatait déjà en 2011 dans (ADEME, 2011), qu’un cycliste roule en moyenne à 15 km/h en ville contre 14 km/h pour une voiture sur les trajets inférieurs à 5km. Ajouté au fait que les (relativement) nouveaux vélos cargos permettent de transporter jusqu’à 3 enfants ou 200 kg de chargement (sans efforts avec une assistance), on constate que les vélos sont aussi performants en ville que les voitures individuelles. L’ADEME toujours décrit dans (ADEME, 2016) qu’une place de stationnement voiture occupe le même espace que 8 places de stationnement vélo (en 4 arceaux) et que le vélo est également extrêmement économique pour les particuliers et les collectivités car autant les matériels que les infrastructures coûtent beaucoup moins chers.
Sur le volet santé, d’après (Citepa, 2019), un déplacement en vélo émet 21 g/km de GES contre 22 g/km pour un VAE ce qui est 12 fois moins important qu’une voiture tandis que les nuisances sonores deviennent pratiquement nulles. Faire du vélo permet par ailleurs de faire de l’exercice physique et de sociabiliser. Pour terminer, le vélo est également beaucoup moins dangereux pour les autres usagers du fait de sa faible masse et faible vitesse de circulation.
Dans son livre “Changer de boussole: la croissance ne vaincra pas la pauvreté” (De Schutter, 2023), le juriste Olivier de Schutter rapporteur spécial auprès des Nations Unies pour les droits de l’homme et l’extrême pauvreté, conceptualise des mesures à “triple dividende” comme leviers de justice sociale. Ces trois dividendes sont la réduction de l’impact écologique de nos modes de production de consommation, la création d’emplois pour des travailleurs et travailleuses faiblement qualifiés et la mise à disposition de biens et services à des prix abordables pour les ménages précarisés. Le développement des mobilités douces s’inscrit dans cette démarche premièrement en réduisant la pollution liée à l’utilisation de la voiture individuelle, deuxièmement en créant de l’emploi avec des infrastructures à construire et le système vélo à faire fonctionner, et troisièmement en rendant la mobilité abordable pour tout le monde qui engendre un meilleur accès général à l’éducation, à la culture et à l’emploi.
Nantes Métropole, dans son Schéma stratégique piéton (NantesMétropole,
2022) détaille les 5 enjeux associés au développement de la
marche pour la Métropole :
- garantir une mobilité pour tous
- préserver l’environnement et la santé publique
- assurer un cadre de vie de qualité et promouvoir le bien-vivre
ensemble
- poursuivre le développement d’une Métropole attractive et
rayonnante
- répondre à l’ensemble de ces enjeux à un coût maîtrisé
Le Schéma souligne par ailleurs que le déplacement piéton est prioritaire dans la hiérarchisation des modes.
Enfin, 4 orientations stratégiques y sont identifiées pour répondre
aux enjeux :
- améliorer, mailler et rendre lisible les itinéraires piétonniers
- soigner la conception et les ambiances, rendre accessible et procurer
un sentiment de sécurité sur l’espace public
- inciter à la pratique de la marche
- suivre les pratiques de la marche et évaluer le plan d’actions
(Gehl, 2011) “Bien que les problèmes affligeant les villes dans les différentes parties du monde ne soient pas les mêmes, les différences en matière d’intégration de la dimension humaine au sein de l’aménagement urbain sont tout de même minimes. On observe le même modèle partout, soit qu’au cours des 50 dernières années la dimension humaine fut sérieusement délaissée sur le plan de l’aménagement urbain. Dans les villes riches, cette négligence est due en grande partie aux différents postulats urbanistiques, à la motorisation croissante et aux difficultés liées à la transition du modèle traditionnel où la vie urbaine était organique au modèle dans lequel cette même vie nécessite un soutien et une organisation minutieuse. La croissance de la population, l’économie florissante et un développement explosif en matière de circulation automobile ont engendré d’énormes problèmes dans les rues des villes grandissantes des pays émergents. Alors que la négligence est la cause d’un anéantissement presque total de la vie urbaine dans certains pays développés, la pression provoquée par les besoins de croissance a exposé cette vie à des conditions extrêmement difficiles dans de nombreux pays ayant une économie moins prospère.”
A nouveau (Chibane & Gwiazdzinski, 2015) a recensé un certain nombre d’études explorant le lien entre la forme urbaine et la pratique de la marche à pied. Il ressort à chaque fois que les personnes résidant dans un quartier à plus fort potentiel piétonnier s’adonnent à plus de marche à pied. C’est le cas par exemple lorsqu’on quitte le périurbain pour se rapprocher du centre-ville.
D’après l’enquête mobilité réalisée par (ObservatoireDesTerritoires, 2019), 45% des déplacements quotidiens actuels pourraient se reporter vers les mobilités actives car ils correspondent pour 8% à une distance inférieure à 1 kilomètre réalisable à pied en moins de 15 minutes, et pour 35% à une distance comprise entre 1 et 4 kilomètres réalisable en vélo en moins de 15 minutes.
# énoncé des qualités
D’après (Gehl,
2011), la première qualité de l’espace piéton est relative à la
sécurité. Les citadins doivent se sentir en sécurité vis-à-vis de la
circulation routière, de la criminalité et des intempéries. Cette
qualité serait ainsi pré-requise à toutes les autres. Ensuite, l’espace
public doit créer les espaces devant assurer un certain confort à
l’usager en lui permettant de déambuler le plus librement possible et de
manière accessible à tous. Ces espaces lui permettent également de se
sociabiliser par le jeux, le sport, et la rencontre. Les aménagements
doivent être adaptés à l’échelle humaine, au climat local et doivent
apporter un certain agrément par une esthétique soignée.
Ces idées sont synthétisées dans la figure suivante :
# illustrations
Les rez-de-chaussée jouent un rôle essentiel pour la beauté et la
fonctionnalité des villes. Il s’agit en effet de zones où la vie se
déroulant à l’intérieur des bâtiments peut rencontrer celle se déroulant
à l’extérieur.
La ville suédoise de Stockholm a conçu une échelle à 5 niveaux en vue d’entreprendre une opération de grande rénovation urbaine en 1990.
(Gehl, 2011) illustre cette échelle de la façon suivante :
Dans son Référentiel d’Aménagements Cyclables (NantesMétropole, 2021), Nantes Métropole détaille 4 niveaux de service pour ses portions d’aménagements cyclables.
En France, le Cerema (Centre d’études et d’expertise sur les risques,
l’environnement, la mobilité et l’aménagement) rapporte dans son guide
“Aménager des rues apaisées” (CEREMA, 2020) à destination des
aménageurs et collectivités les enjeux, avantages et limites des zones
au traffic apaisée définies dans la législation française.
On notera que l’institut néerlandaise CROW1
publie un guide des aménagements qui fait référence à l’échelle
européenne .
# définitions
On distingue ainsi 3 niveaux de “rues apaisées” dans la classification
française :
- les zones 30 : “la zone 30 est un espace public où coexistent les
pratiques de la vie locale et la fonction circulation sans qu’aucune ne
prenne le pas sur l’autre. L’organisation de la rue reste classique. La
zone 30 peut être ponctuelle ou étendue à un ensemble de rues, un
ensemble de quartiers.”
- les zones de rencontre : “section ou ensemble de sections de voies en
agglomération constituant une zone affectée à la circulation de tous les
usagers. Dans cette zone, les piétons sont autorisés à circuler sur la
chaussée sans y stationner et bénéficient de la priorité sur les
véhicules. La vitesse des véhicules y est limitée à 20 km/h.”
- les aires piétonnes : “l’aire piétonne est un espace public dédié aux
piétons visant à développer la vie locale. Le piéton y occupe tout
l’espace et s’y déplace sans contraintes. L’aire piétonne couvre une rue
de façade à façade.”
# aménagements
Ces différentes zones prennent forme dans la ville à travers des
aménagements adéquats détaillés ci-après.
Pour les zones 30, le principe de base est de bien équilibrer les espaces afin de favoriser la cohabitation entre circulations motorisées et activités locales qui restent séparés sur la chaussée par une limite franche. L’entrée et la sortie de la zone sont bien identifiées. Le profil des aménagements sera adapté à la place disponible, et à la finalité visée : lieu de promenade, espace de repos avec des plantations, site de rassemblement, espace à dominante commerciale… Concernant les éléments de signalisation, ils sont réduits au minimum et les passages piétons sont retirés. Le mobilier urbain doit être adapté à la fréquentation. Les cyclistes disposent de pistes et bandes cyclables et peuvent circuler par défaut à double sens même dans les rues à sens unique pour les véhicules.
Dans la zone de rencontre, les véhicules ne sont plus qu’invités dans un espace d’abord dédié aux piétons et habitants. Les limites de la zone sont clairement identifiées par des panneaux et il est préférable de modérer la vitesse en amont de la zone (par une zone 30 par exemple). La linéarité des rues est brisée par des chicanes, de la végétation et du mobilier. La vitesse est modérée grâce à un découpage visuel de la chaussée moins marqué qui incite à la prudence. Ici, les cyclistes ne disposent plus de marquages spécifiques.
Dans la zone piétonne, les aménagements veillent avant tout à
répondre aux besoins du piéton :
- le confort des itinéraires
- la qualité de l’environnement
- un mobilier adéquat
- un éclairage efficace
- des revêtements de sol confortables
- une signalisation claire
- des espaces publics propres et entretenus L’espace libéré par la
voiture permet de nombreux aménagements d’agrément tes que par exemple :
végétation, bancs, plans de la zone, tables de pique nique, tables de
jeux d’échec, marelles, labyrinthes…
Les aménagements discutés précédemment sont synthétisés sur la figure ci-dessous :
# conclusions du Cerema
Ainsi se conclut le guide du Cerema : “la continuité avec l’existant,
l’accessibilité pour tous, la nature et le coût des aménagements à
réaliser ou encore la typologie des lieux sont autant de paramètres à
prendre en compte avant d’adopter une décision définitive. Entre la zone
30, la zone de rencontre ou l’aire piétonne, il n’y a pas de bon ni de
mauvais choix. Chacune présente des caractéristiques qui s’adaptent ou
non à la typologie des lieux et aux usagers souhaités .”
On s’affranchit ici de tout dogmatisme, la situation est à étudier au
cas par cas. Une démarche probablement pleine de sagesse qu’il aurait
été bon d’appliquer lorsque l’espace public a été entièrement donné à la
mobilité motorisée alors que l’espace urbain était de fait initialement
piéton.
Le concept de Woonerf est né aux Pays-Bas à Delft dans les
années 1960s/1970s et désigne un ensemble de rues résidentielles dans
lesquelles les piétons ont possession des lieux et où les voitures sont
des invitées.
A l’échelle de la ville, le Woonerf repose sur une hiérarchie
très simple et lisible des zones de transit en artères, voies de
desserte et rues locales, ces dernières ayant vocation à former des
“woonerfs”.
A l’échelle du lieu, le concept prend forme dans le choix et la
disposition du mobilier urbain, dans les revêtements de sols, dans la
végétation, et tous ensemble incitent à l’apaisement des circulations et
invitent à l’épanouissement de la vie publique.
Dans le woonerf, il n’y a pas de traffic automobile traversant afin
d’éviter que les automobilistes ne l’empruntent pour échapper aux
embouteillages, les feux et panneaux de circulation sont absents et les
mobilités actives sont motivées de fait.
Au final, dans l’approche du woonerf, les “villes marchables”
deviennent un pléonasme.
Sur la photographie ci-dessous, on voit que la ligne droite de la rue est brisée par une courbe ce qui amène à réduire la vitesse. La courbe est marquée par la végétation, par des bollards et des places de stationnements stratégiquement positionnées. La chaussée est seulement marquée par une orientation différente des pavés. Également, l’ouverture vitrée importante des maisons directement sur la rue contribue au sentiment de sécurité des usagers tout comme la bonne présence d’éclairages.
A partir de 1860, la vieille ville de Barcelone a été étendue selon
les plans de Ildefons Cerdà en un quadrillage de blocs chacun
avec un parc intérieur. Des parcs qui ont été construits au fur et à
mesure sous la pression immobilière.
Aujourd’hui, les superblocks tels qu’imaginés par l’urbaniste
espagnol Salvador Rueda regroupent une grille de 3x3 blocs
d’immeubles barcelonais couvrant un espace approximatif de
400x400m2 afin de recréer de petites villes dans la ville à
l’usage des citoyens et débarrassés de la circulation automobile. A
terme, l’objectif annoncé est de passer de 15 à 70% de rues
piétonnes.
Le superbloc vise à développer un modèle de ville plus
compacte, complexe, efficace et cohésif. Il s’agit d’un modèle
d’urbanisme centré sur l’humain plutôt que la voiture avec le retour
souhaité d’espaces publics riches de jeux d’enfants, d’expositions
culturels, d’expressions de démocratie, d’échanges commerciaux
(marchés…) et de déambulations piétonnes d’agrément. Les personnes âgées
retrouvent des services et une vie de proximité ce qui facilite une fin
de vie à domicile dans de bonnes conditions.
Au niveau des mobilités, la circulation automobile est rejetée à
l’extérieur tandis qu’à l’intérieur du superbloc la vitesse des
véhicules est limitée à 10km/h avec une absence de voie traversante. Les
mobilités actives ont par ailleurs la priorité.
Barcelone souhaite implémenter les superblocks dans une
approche systémique : trop souvent les problèmes de mobilité sont
corrigées au cas par cas par des “rustines” tandis qu’ici la
municipalité recherche un impact global.
Avec le report du traffic automobile en dehors des îlots d’immeubles, le
superblocks réduit l’exposition des habitants à la pollution de
l’air et à la pollution sonore.
D’après (CEREMA, 2018), l’intermodalité désigne une mobilité caractérisée par l’utilisation successive de plusieurs modes de transport au cours d’un même déplacement. Elle comporte des “ruptures de charge” qui correspondent aux changements de mode et qui allongent le temps de parcours global et augmentent l’inconfort.
Une bonne intermodalité présente des enjeux économiques, sociaux et environnementaux. Elle contribue par ailleurs fortement à l’attractivité des villes.
Elle requiert pour sa mise en oeuvre d’une bonne coordination entre les différentes autorités responsables des mobilités. La pratique intermodale devient naturelle pour les usagers lorsqu’ils ne ressentent plus la “couture” entre les modes. La responsabilité est donnée aux “pôles d’échanges” qui constituent un “dispositif spatial visant à rapprocher physiquement les modes de transport afin de favoriser leur (inter)connexion ou quand le rapprochement physique est impossible, à aménager les transferts pour les rendre plus lisibles et intuitifs”. On citera par exemple les gares routières et parcs-relais comme “pôles d’échanges”.
A Nantes, d’après (NantesMétropole, 2018), la part modale des transports collectif était de 15% en 2009 avec 5 % des habitants de Nantes Métropole déclarant utiliser les transports en commun, 73 % au moins une fois par mois, 51 % au moins une fois par semaine et 26 % tous les jours ou presque.
On constate d’après l’enquête (Département_de_Loire-Atlantique, 2015), que les habitants de l’extérieur du périphérique sont plus dépendant de l’automobile pour leurs déplacements et sont beaucoup moins adeptes des mobilités actives.
L’enquête rapporte également le budget-distance quotidien des
habitants selon le type de territoire :
- 18 km pour le centre
- 25 km dans la périphérie proche
- 36 km dans la périphérie urbaine
- 33 km pour le rural
Nantes Métropole, dans son Schéma stratégique piéton (NantesMétropole, 2022) indique comme orientation stratégique l’idée d’améliorer, mailler et rendre lisible les itinéraires piétonniers.
On a une belle illustration de ce principe avec le concept d’étoile verte4 tel qu’imaginé par le paysagiste Gilles Clément pour Nantes :
De l’autre côté de la France, à Strasbourg, on trouve le réseau de voies cyclables Vélostras5 qui se décline et s’implante dans la ville à travers une charte graphique pensée à différents niveaux :
https://reporterre.net/Comment-rendre-la-ville-vivable-et-sans-voiture (Le Villain & Marrec, 2020)
En 2015, le département Loire Atlantique a commandité une étude (Département_de_Loire-Atlantique, 2015) caractérisant les déplacements sur son territoire. Nantes Métropole en a tiré la synthèse suivante :
On constate principalement que la catégorie des actifs (25/64 ans) est celle qui marche le moins avec 22% de leurs déplacements effectués à pieds (contre un peu plus de 30% pour les autres) ce que l’on retrouve dans le fait que les trajets domicile travail ont la plus faible part de déplacements pédestres avec seulement 12% tandis que pour d’autres motifs (dont notamment les loisirs ou les achats), la part est d’un peu plus de 30% globalement.
On notera la donnée d’un déplacement moyen de 750 mètres pour total quotidien de 2 kilomètres.
Aussi, comme on pouvait s’y attendre, les déplacements sont plus fréquemment réalisés à pieds à l’intérieur du périphérique (milieu plus urbanisé et plus dense en population et services/commerces).
Enfin, on remarque la faible part des déplacements d’une distance comprise entre 1 et 5 kilomètres qui sont réalisés à pieds. Le part du vélo sur ces distances étant également assez faible (4% pour la Loire Atlantique), on retrouve l’idée d’un potentiel de report conséquent sur les modes actifs.
# l’accessibilité pour les personnes
handicapées
Dans (CEREMA,
2011), il est indiqué une évolution de la legislation (loi n°
2005-102 du 11 février 2005) qui prend désormais toute diminution
des capacités: handicaps moteurs, visuels, auditifs, cognitifs et
mentaux, de même que l’âge (enfants et personnes âgées) ainsi qu’une
dimension sociale avec des difficultés financières ou relationnelles, la
barrière de la langue pour les étrangers ou encore les handicaps de
situation: personnes avec bagages, parents avec poussettes…
L’accessibilité se base donc sur la notion d’égalité d’accès pour tous
les citoyens.
On a par ailleurs l’idée qu’un espace accessible pour les personnes en difficultés le sera d’autant plus pour l’ensemble des usagers selon le principe bien connu du “qui peut le plus peut le moins”. Il s’agit de faciliter l’insertion dans la vie sociale et de permettre à chacun de vivre pleinement la ville et d’être un citoyen à part entière.
Le CEREMA propose une méthodologie pour analyser l’accessibilité des espaces publics de la ville qui est synthétisée par le tableau suivant :
Méthode pour analyser l’accessibilité des espaces publics (CEREMA, 2011)
# la rue pour les enfants
Le guide (Québec,
2009) indique qu’environ 40% des jeunes Québecois de 9 ans et 15%
de 13 ans se rendaient à l’école à pieds en 1999 contre 80% des 7 à 8
ans en 1971 tandis que le parc automobile a triplé sur la période.
Pourtant, la marche ou le vélo pour aller à l’école apporte aux enfants la santé , l’autonomie qui permet de tisser des liens sociaux et de la concentration en classe après s’être dépensé.
Le rapport note que les enfants sont d’autant plus vulnérables face à la circulation automobile qu’ils sont moins visibles des conducteurs du fait de leur petite taille, qu’ils sont moins conscients du danger et plus facilement distraits.
# les femmes plus sensibles à la sécurité
perçue
Gorrini, dans (Gorrini
et al., 2021), a effectué la revue de plusieurs études
sociologiques sur la façon dont les femmes percoivent la ville. Elle a
pu constater que ces dernières vivent la ville différemment des hommes,
étant plus sensibles aux problèmes d’insécurité. Cela les amène à
adapter leur cheminement (en les supprimant, retardant ou déplaçant)
notamment à la nuit tombée.
# l’accessibilité pour les personnes âgées
D’après l’étude sociologique (Huguenin-Richard et al.,
2017), les freins à la pratique de la marche chez les personnes
âgées sont :
- le trafic automobile trop important
- les vitesses de circulation trop élevées (voiture, deux-roues
motorisés, transports en commun)
- le non-respect des feux de signalisation par les conducteurs
- le manque d’attention et la vitesse des cyclistes et des autres
piétons
- la pollution
- le manque d’entretien des trottoirs
- le manque de bancs
- les mauvaises odeurs
Elles sont également très attentives aux points suivants :
- la configuration des traversées de la chaussée
- l’encombrement des trottoirs
- le type et la qualité du revêtement des trottoirs
Les études sociologiques, psychologiques ou psychosociologiques
rapportent les facteurs permettant d’éclairer le rôle des croyances et
représentations, des connaissances du besoin de déplacement, des
intentions ainsi que des expériences passées dans le choix modal.
Ces facteurs d’influence peuvent être classés en 4 familles :
- les facteurs sociodémographiques : l’âge, le genre, la présence
d’enfants, le revenu, le style de vie, l’éducation…
- les facteurs socioculturels : la préférence, la valeur d’estime et la
sécurité associées aux différentes mobilités
- les facteurs psychophysiologiques : l’expérience, l’habitude, les
compétences-connaissances, la perception des enjeux pour de santé et
d’environnement…
- les facteurs fonctionnels : le motif, le temps, la distance, le coût,
la chaîne, les contraintes de déplacements
Les caractéristiques de l’environnement urbain et les interactions
présentes et passées de l’usager avec cet environnement vont influer sur
le choix modal.
On retiendra les catégories d’indicateurs suivantes :
- les facteurs associés au design urbain : la part du construit et des
espaces verts, le mobilier urbain, la présence d’autres usagers sur le
même mode, l’esthétique, l’importance du traffic…
- les facteurs liés à la structure spatiale et socio-spatiale du
territoire : la densité et la diversité fonctionnelle urbaine, la
concentration de services
- les facteurs associés aux infrastructures et à l’offre de service : la
densité et la fréquence des transports en commun, la fréquence des
coupures dans un même déplacement, la proximité des transports, le
stationnement disponible, le maillage des infrastructures dédiées aux
mobilités actives, la simplicité d’usage, l’accessibilité des services
dédiés, le système d’information
# hiérarchie des niveaux de service (Convolte, 2018)
Les espaces publics peuvent être classés en différents niveaux de
services selon la fréquence avec laquelle les usagers en font le recours
:
- niveau 1 (recours quotidien ou pluri-hebdomadaire) : boulangerie,
tabac/journaux, écoles, boucherie/charcuterie/traiteur, commerce
alimentaire (supermarché et, éventuellement, supérette pour les
populations captives et surtout, en milieu urbain).
- niveau 2 (recours hebdomadaire) : réparation automobile, café,
hypermarché (2 niveaux de fréquence de recours), épicerie/supérette, ou
lieu de fréquentation contrainte assez régulière : poste, pharmacie,
médecin généraliste, équipements sportifs, équipements culturels.
- niveau 3 (recours mensuel) : coiffeur, petites, moyennes et grandes
surfaces spécialisées, banques-assurances, restaurant, bar spécialisé ou
thématique, cinéma, théâtre, patinoire. Sont aussi affectés à ce niveau
des lieux de fréquentation contrainte plus épisodique tels que les
mairies.
- niveau 4 (recours plus rare) : préfecture, impôts, hôpital, médecins
spécialistes, laboratoires d’analyse médicale, hall d’exposition,
magasins spécialisés, services et administrations de fréquentation rare,
à destination d’un grand nombre de personnes.
La présence de services de plus haut niveau à proximité des lieux d’habitations incitent à la mobilité active.